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Une visibilité « floutée » par une désinformation de plus en plus violente

Béatrice DENAES

Mobilisnoo donne Carte blanche
Béatrice DENAES a répondu présente à l’invitation de Mobilisnoo à l’occasion du TDoV 2023 et nous l’en remercions.

Par Béatrice DENAES, le 31 mars 2023.

Quelle est aujourd’hui la visibilité trans ? Est-elle réelle ou insuffisante ?  Voire rendue floue par une transphobie de plus en plus décomplexée ? La Journée internationale de la visibilité transgenre (31 mars) permet de faire le point.

Depuis plusieurs années, cette visibilité grandit grâce à des reportages, des documentaires, des films qui présentent avec bienveillance – pas toujours avec justesse – la réalité des transidentités. Mais, il y a deux à trois ans, poussés par des campagnes électorales clivantes et par cette volonté de trouver une nouvelle cible (après l’homosexualité, le PACS, le Mariage pour tous, la PMA…), des associations, des personnalités, des groupes souvent proches de la droite extrême et de la fachosphère se sont lancés dans un nouveau combat contre la diversité et le respect de la vie de chacun.

Aujourd’hui, la visibilité trans est réelle, mais au prix d’arguments fallacieux, de mensonges, de désinformations pour susciter la peur, la haine auprès de celles et ceux qui ignorent tout des transidentités et n’iront pas vérifier l’exactitude des propos. On essaie d’ailleurs de les rallier à la cause anti-trans en les touchant par « le scandale sanitaire » que médecins et parents irresponsables feraient vivre aux enfants trans. Les enfants, c’est évidemment un angle d’attaque efficace pour susciter une sympathie, une solidarité avec le discours transphobe. Sauf qu’il s’agit d’une dangereuse idéologie reposant sur des contre-vérités et aucune réalité scientifique.

Des médias influencés par une idéologie d’exclusion

Le pire est que cette idéologie a réussi à contaminer une partie de la presse. Que des médias comme Valeurs actuelles, Sud Radio ou des sites proches de la droite extrême véhiculent cette idéologie de défense d’une société de clones, hétérosexuelle, hétéronormée, refusant la diversité, l’inclusivité et les différences, c’est regrettable sur le plan de l’humanisme, mais c’est un peu leur fonds de commerce. En revanche, comment accepter que des médias a priori plus ouverts bafouent le principe de base de la véracité des faits et de la vérification des informations.

« Des discours radicaux légitiment les requêtes de changement de sexe. Mais c’est au prix d’un traitement médical à vie voire chirurgical (ablation des seins ou des testicules) sur des corps d’enfants ou d’adolescents », répètent à longueur de tribunes et d’interviews l’Observatoire de la petite Sirène et ses alliées Ypomoni, SOS Éducation et des personnalités qu’on connaissait ouvertes et bienveillantes qui n’ont vraisemblablement jamais rencontré la moindre personne trans.

Oui, ça fait peur – c’est le but –, mais c’est faux. Aucun traitement hormonal d’affirmation de genre n’est prescrit aux enfants. La seule réalité : vers 11-12 ans, à l’apparition de la puberté, si les évolutions de leur corps leur apparaissent insupportables, comme la poussée des seins ou de la barbe, les jeunes ados peuvent bénéficier, avec l’accord de leurs parents et pour une durée limitée sous surveillance endocrinologique, de retardateurs de puberté. Ces médicaments sont utilisés depuis des décennies pour les jeunes cisgenres (non trans) à la puberté précoce. Ils sont réversibles. Quant aux interventions chirurgicales, elles ne peuvent être réalisées avant la majorité. Seule exception : la torsoplastie (ablation des glandes mammaires) peut être pratiquée dès 16 ans si l’ado trans ne supporte plus sa situation et s’impose la douleur quotidienne de porter un binder qui enserre sa poitrine pour la rendre invisible. Avec l’accord parental, évidemment, et une information médicale solide.

Rappelons aussi les risques qui menacent les enfants trans lorsque leur mal-être n’est pas pris en compte, comme le préconisent, entre autres, l’Observatoire de la petite sirène, Ypomoni ou SOS Éducation qui défendent une psychothérapie pour remettre les enfants « dans les bons rails » ; ce qui s’apparente à une thérapie de conversion, désormais interdite par la loi. Tous les pédopsychiatres, psychologues de l’enfance, endocrinologues pédiatriques connaissent cette réalité des enfants ou ados trans qui, nés dans le mauvais corps, moqués, discriminés, se scarifient, se déscolarisent, sombrent dans une profonde dépression, font des tentatives de suicide (et les réussissent comme Fouad-Luna, Doona, Maxence et bien d’autres). Différentes études montrent que plus des deux tiers des jeunes trans avaient « déjà pensé au suicide » et le tiers avait fait une ou deux tentatives, principalement de 12 à 17 ans. Des chiffres quasi identiques dans la population adulte trans. Celle-ci a dix fois plus de risques de suicide que la population globale. Alors qu’une écoute et un accompagnement permettent aux jeunes trans une vie plus sereine : une étude de l’Académie américaine de pédiatrie, publiée en octobre 2021, montre une diminution de 60 % de la dépression modérée et sévère et de 73 % des tendances suicidaires chez les jeunes trans et non-binaires ayant reçu des retardateurs de puberté ou des hormones d’affirmation de genre.

Incroyable débat : pour ou contre les trans ?

En 2023, imagine-t-on un débat pour ou contre l’homosexualité, mettant aux prises une personne homosexuelle et un homophobe ? Évidemment non. L’homosexualité est globalement acceptée et l’homophobie condamnée par la loi. Tout comme d’ailleurs la transphobie… Mais certains médias n’en tiennent pas compte et se permettent d’organiser des débats ou d’accepter des prises de position ou des tribunes clairement transphobes. Comment peut-on accepter de débattre pour ou contre l’existence des personnes trans ? Pour ou contre qui elles sont ? Seraient-elles des parias de la société pour qui il est nécessaire de discuter de leur droit à vivre et exister contrairement à n’importe quel autre citoyen de notre république ?

En octobre 2022, M6 diffuse un documentaire plutôt bien fait, « Trans, unique en son genre ». Nous suivons deux femmes trans et un jeune homme trans qui témoignent de leur vie, de leur transition, des bonheurs et des difficultés. C’est humain, agréable et cela donne des clés de compréhension à celles et ceux qui ignorent la réalité transidentitaire. Alors, pourquoi avoir ajouté un débat ignoble mettant aux prises le jeune homme trans du documentaire et le pédopsychiatre Serge Hefez face à deux personnes farouchement transphobes, dont une insupportable mère qui refuse la transidentité de sa fille et l’a ouvertement rejetée ? Pour ou contre la transidentité ? Non, la transidentité n’est pas un débat.

« Vous n’êtes pas une femme; vous êtes un homme déguisé en femme »

Pourtant, quelques jours plus tard, dans l’émission « Quelle époque », France 2 ouvre un débat identique entre Marie Cau, le première maire française transgenre, et Dora Moutot, activiste transphobe, refusant clairement l’existence des personnes trans. Ses propos sont d’une violence terrible.  Blessante et humiliante quand elle lance à Marie Cau : « Vous n’êtes pas une femme; vous êtes un homme déguisé en femme ».  Aujourd’hui, accepterait-on un débat avec des paroles blessantes et humiliantes à l’égard des homos, des handicapés, des gauchers, en fait de celles et ceux qui sont différents ? Non; alors, pourquoi se le permet-on avec les trans ?

L’incroyable puissance médiatique des « anti-trans »

Le pouvoir des associations et des personnalités anti-trans est considérable, relayé par des médias partiaux et complices. Dernier exemple en date : la lettre ouverte publiée dans Le Figaro en février 2023 visant un article « pratique » de la CAF (Caisse d’allocations familiales) pour aider les parents d’enfants trans, « Mon enfant est transgenre, comment bien l’accompagner ? ». La CAF est parfaitement dans son rôle de conseiller les parents face à une situation qui peut être un choc quand on n’y est pas préparé et qu’on ignore la réalité du ressenti de son enfant. L’article est simplement informatif avec le témoignage de mamans concernées. Mais plusieurs personnalités, dont les incontournables présidentes de l’Observatoire de la petite sirène, y voient de la « désinformation » (laquelle ?) et un relai de la « théorie du genre » (qui n’existe pas). Elles obtiennent gain de cause avec une réécriture de l’article qui reprend la contre-vérité chère aux anti-trans et à l’Observatoire de la petite sirène, les opérations chirurgicales sur les enfants : « À souligner que les changements médicaux ne sont bien entendu pas à prendre à la légère avec des impacts potentiellement lourds au-delà des changements sur l’appareil génital externe, nécessairement irréversible ». Un article informatif est devenu un article, cette fois, de véritable désinformation, pour, comme toujours, susciter la peur et le rejet.

Même France Inter se fait le relai de cette désinformation en affichant sur son site les propos du directeur de la rédaction du Figaro Magazine : « On insiste sur la gravité des traitements qui leurs sont proposés : d’abord des bloqueurs de puberté puis des hormones de substitution, œstrogènes ou testosterone, puis des traitements chirurgicaux, parfois irréversibles ».

Très étonnant également, Charlie Hebdo qu’on avait connu plus progressiste et bienveillant à l’égard des minorités s’est laissé convertir par l’idéologie TERF (Trans-exclusionary radical feminist), ces « féministes » violemment transphobes, souvent proches de la fachosphère. Charlie est devenu un ardent défenseur de Dora Moutot et Marguerite Stern, qui ont inventé les « femellistes ». Elles ne reconnaissent que la réalité biologique pour définir une femme et refusent la différenciation entre sexe et genre. Elles estiment qu’une femme trans reste un homme : « S’habiller avec des jupes et vous appeler femme quand vous êtes un homme est sexiste. Quand je vois des hommes se grimer en « femmes », je me sens caricaturée, ridiculisée. Je n’ai pas choisi d’être une femme, c’est comme ça, on me l’a imposé. C’est une réalité biologique », affirme Marguerite Stern, ex-Femen, dans L’Express. Et dans un autre numéro de L’Express, Dora Moutot ajoute : « Des associations sont venues se saisir de cette pathologie psychiatrique [la transidentité] pour asseoir la croyance selon laquelle on pourrait naître dans le mauvais corps ». Incompréhension totale et rejet de la transidentité; illustration d’une profonde transphobie… L’une des premières signataires du Manifeste des femellistes n’est autre de Caroline Éliacheff, présidente de l’Observatoire de la petite sirène. Pourtant, dans ses tribunes anti-enfants trans, elle ne cessait de clamer son respect pour les adultes trans.

Loin du vivre-ensemble ?

Cette attitude malveillante de certains médias, relais d’une idéologie transphobe blessante, humiliante, qui rêve de nous voir disparaitre ou, tout du moins, rejeter et discriminer par la diffusion de fausses informations et de mensonges est corroboré par une étude instructive et documentée de l’Association des journalistes LGBTI révélée en février 2023. L’AJL a analysé les 434 articles évoquant la transidentité parmi les 21 sites de presse nationale les plus visités. Malheureusement, sans surprise, « la moitié des articles n’ont pas un traitement respectueux des personnes trans, un sur quatre est même anti-trans ». Les plus « mauvais » : L’Express, Marianne, Le Figaro et le JDD.

Le titre de cette étude correspond totalement à la réalité : « Transidentités : de l’invisibilisation à l’obsession médiatique ». Une obsession plutôt malveillante qui se développe dans certains médias appréciant de distiller peur et mensonges, là où leur rôle serait de faire comprendre, d’expliquer et de contribuer au vivre-ensemble. En quoi des enfants, des ados, des adultes qui veulent simplement vivre leur vie comme ils la ressentent gênent-ils? Pourquoi s’acharner contre eux? Un peu d’humanité et de bienveillance…


Béatrice DENAES est co-fondatrice et co-présidente de TRANS SANTÉ France, journaliste, enseignante à Sciences Po-Paris et autrice de « Ce corps n’était pas le mien. Histoire d’une transition tant attendue » (FIRST Éd.).

La transidentité : être [enfin] soi-même | Béatrice DENAES | TEDxNantes, le 2 août 2021 sur YouTube
Couverture du livre Ce corps n'était pas le mien – Histoire d'une transition tant attendue de Béatrice DENAES

Ce corps n’était pas le mien
Histoire d’une transition tant attendue
Béatrice DENEAS
FIRST Editions (12/11/2020)

1 commentaires

  1. Très bon article qui reflète bien la réalité journalistique vis à vis de la transidentite.

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